Le dollar américain affiche la plus forte survalorisation en près de 40 ans par rapport aux devises de ses principaux partenaires commerciaux. Il s’agit de la plus importante survalorisation jamais enregistrée par rapport au dollar canadien. Elle fait suite à la reprise du billet vert de près de 9 % au cours du dernier trimestre de 2024, une évolution qui s’est produite lorsque les investisseurs estimaient que les propositions du président Trump concernant les politiques commerciales et de déréglementation avaient plus de chances de se concrétiser. La fin de la vigueur du dollar américain coïncide à peu près au début du 2e mandat de M. Trump à la Maison-Blanche. L’incapacité de la monnaie à dépasser les sommets cycliques de 2022 (figure 1) laisse croire que les craintes (ainsi que les espoirs) associées à l’ordre du jour du président étaient déjà intégrées aux taux de change d’alors. L’orientation du dollar américain a été l’un des principaux moteurs des marchés des changes, tandis que l’attention des investisseurs alternait entre les taux d’intérêt américains et les élections aux États-Unis. C’est ce dont témoigne la synchronisation de plus en plus grande des taux de change des marchés développés depuis l’automne 2024 (figure 2).
Figure 1 : Le rebond du dollar américain n’atteint pas le sommet du cycle de 2022
Nota : Au 5 mars 2025. Sources : Bloomberg, RBC GMA.
Figure 2 : Les devises des marchés développés sont synchronisées depuis l’automne 2024
Nota : Au 5 mars 2025. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Nous nous attendons à ce que le billet vert se déprécie à long terme. Nous avons toutefois mis en pause nos perspectives baissières au dernier trimestre à la suite des élections de novembre aux États-Unis, en raison des mesures commerciales susceptibles de peser sur les partenaires commerciaux des États-Unis. À l’époque, la victoire de M. Trump suggérait également une reprise de l’inflation qui empêcherait la Réserve fédérale (Fed) de réduire les taux aussi rapidement que nous l’avions prévu auparavant. Un déclin plus immédiat et de plus grande ampleur dépend en grande partie des signes indiquant l’enthousiasme grandissant des investisseurs à l’égard du rapatriement des fonds à l’extérieur des États-Unis. Une telle preuve du retrait des capitaux en dehors des États-Unis a effectivement commencé à se matérialiser, même si ce n’est que provisoirement :
L’accord récent entre le futur chancelier allemand et les partenaires de la coalition pour financer la défense et les infrastructures renforce les prévisions de croissance de la zone euro et accroît l’intérêt d’investissement dans la région.
Les rendements exemplaires des actions chinoises et européennes au début de 2025 pourraient être un signe avant-coureur de regain d’intérêt des investisseurs pour ces régions longtemps évitées. Plus ces actions s’apprécient, plus les chances s’accroissent de voir les investisseurs mondiaux s’intéresser à la région.
L’incapacité des États-Unis à répondre aux attentes de plus en plus élevées en matière de croissance économique, comme en témoigne l’écart entre les indices des surprises économiques de Citibank aux États-Unis et dans le monde (figure 3).
Figure 3 : La croissance aux États-Unis est inférieure aux attentes
Nota : Au 5 mars 2025. Sources : Bloomberg, Citigroup, RBC GMA
C’est le 3e de ces éléments qui mérite le plus grand suivi. Les gains du dollar américain au cours des dernières années sont en grande partie attribuables à la plus forte croissance économique des États-Unis et aux taux d’intérêt plus élevés qui vont généralement de pair avec une économie plus forte. Le thème de l’exceptionnalisme américain – à savoir des dépenses budgétaires supérieures à celles des autres économies des marchés développés au cours des dernières années – constitue une partie du récit. Bien que les déficits publics américains se poursuivront, nous doutons que les incitations budgétaires puissent rester aussi favorables qu’au cours des deux dernières années. De plus, la forte incertitude entourant les politiques de M. Trump liées aux droits de douane, aux réductions d’impôt, aux restrictions dans l’administration publique et à la déréglementation a eu pour effet de suspendre les investissements des entreprises – voilà un résultat exactement aux antipodes de ce qu’avait prévu le président au cours de sa campagne dans le cadre du rapatriement de la capacité de production aux États-Unis. Un scénario où l’économie européenne se redresse en même temps que le ralentissement de la croissance aux États-Unis pourrait déclencher une vente accélérée du dollar par les investisseurs qui surpondéraient déjà cette monnaie (figure 4).
Figure 4 : Position acheteur sur le dollar américain à long terme
Nota : Au 28 février 2025. Sources : Bloomberg, CFTC, RBC GMA
Un risque évident pour cette perspective de dépréciation du dollar serait une approche plus musclée de la Maison-Blanche concernant les droits de douane. Avant son investiture, M. Trump avait promis l’imposition immédiate de droits de douane généralisés de 10 % dans le monde entier et des droits encore plus importants de 60 % sur les importations chinoises. Non seulement ces mesures faisaient manifestement défaut dans les décrets présidentiels signés le premier jour de son mandat dans le bureau ovale, mais les promesses subséquentes de M. Trump concernant les droits de douane pour le Canada et le Mexique le 4 février ont été retardées. Sa prise de bec qui a duré une fin de semaine avec la Colombie à la fin de janvier, où les droits de douane ont été imposés un jour et supprimés le lendemain après que la Colombie a cédé aux exigences américaines d’accepter les immigrants illégaux, suggère également qu’il fait des droits de douane un outil de négociation. À ce stade, nos indicateurs montrent que les investisseurs sont devenus indifférents aux incidences des annonces liées aux droits de douane. Un moyen de le voir consiste à examiner le rendement du dollar par rapport à sa principale variable présentant de l’intérêt : l’avantage des taux d’intérêt que présente le dollar (figure 5). L’ampleur du redressement du billet vert au début de novembre ne peut s’expliquer entièrement par les taux d’intérêt : les marchés s’étaient alors désintéressés de la Réserve fédérale pour privilégier les droits de douane à la suite des élections présidentielles américaines. Cet écart peut être considéré comme un indicateur de l’incidence et de la probabilité des droits de douane – l’application d’une sorte de rabais à d’autres devises et d’une prime associée au dollar. Au lieu de se creuser, cet écart s’est rétréci au cours des dernières semaines, ce qui indique une probabilité plus faible attribuée à l’imposition durable de droits de douane. En plus des taux d’intérêt, nous pourrions aussi consulter les marchés d’options pour évaluer la probabilité d’importantes fluctuations du marché des changes, puisque ces instruments sont souvent utilisés en guise de protection contre les volatilités défavorables du marché. Cette protection est en réalité devenue moins onéreuse, et laisse ainsi croire que la garantie n’est pas très demandée.
L’une des raisons pour lesquelles les marchés ne se préoccupent pas trop des droits de douane tient peut-être au fait que ceux-ci sont moins susceptibles de rester en vigueur, puisque leur incidence positive sur le dollar va à l’encontre d’une dépréciation de la monnaie préférée par
Figure 5 : Les droits de douane ajoutent une prime au dollar américain
Nota : Au 5 mars 2025. Sources : Bloomberg, RBC GMA
l’administration. Le président Trump et son vice-président, JD Vance, ont fait entendre qu’un dollar plus faible faisait partie intégrante de leur programme visant à promouvoir la compétitivité des exportations et à encourager une plus grande production aux États-Unis. Dans leur note intitulée « How to Devalue The dollar » (dévaluation du dollar), Gavekal Research a formulé le raisonnement que le seul moyen possible de déprécier le dollar consistait en une intervention active du Trésor américain sur les marchés des changes par l’achat d’autres devises. Les problèmes liés à ce plan sont bien connus dans les secteurs monétaires : les efforts visant à dévaluer le billet vert seront probablement vains en l’absence de toute intervention coordonnée avec d’autres grandes puissances économiques. Il apparait également clairement que le fonds de stabilisation des changes de 300 milliards de dollars américains, la seule facilité approuvée avec laquelle une intervention peut être menée, est bien trop petit pour avoir un effet durable sur le colossal marché des changes (7 500 milliards de dollars américains par jour). C’est peut-être pour cette raison que M. Trump et son équipe pourraient recourir à la possibilité d’un « accord de Mar-a-Lago » pour affaiblir le billet vert, dans le cadre d’une stratégie très semblable à celle des accords du Plaza de 1985 qui ont été conçus à l’hôtel Plaza de New York au milieu des années 1980. Dernièrement, le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a lancé l’idée d’encourager les gestionnaires de réserves de change à échanger leur dette contre des obligations à coupon zéro non négociables à cent ans afin d’éviter les droits de douane. M. Bessent espère qu’en soustrayant cette partie de la dette des marchés actifs, il réduira les charges annuelles d’intérêts du budget tout en renforçant la compétitivité du pays grâce à un dollar américain déprécié.
Une comparaison des résultats du dollar américain entre cette année et la dernière investiture de M. Trump en 2017 nous permet de constater des similitudes frappantes (figure 6). Au cours des deux épisodes, le dollar se négociait dans une fourchette relativement étroite de 5 % qui a été rompue après les victoires électorales de M. Trump au début de novembre. Ces premières reprises, soit 6 % dans les deux cas, ont culminé aux alentours de l’investiture, car les décrets présidentiels du premier jour du mandat de M. Trump n’ont pas été à la hauteur des attentes des investisseurs. Au cours des trois premiers trimestres de 2017, le billet vert a alors perdu 12 %. Il s’agit peut-être là d’une feuille de route prédictive pour la conjoncture, puisque la faiblesse du dollar à l’époque était attribuable en partie à la croissance économique plus rapide que prévu à l’étranger qui a incité les investisseurs à retirer leurs capitaux des États-Unis.
Figure 6 : Analogue du dollar américain en 2017
Nota : Au 5 mars 2025. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Figure 7 : Dollar canadien parmi les devises du G10 ayant généré les pires résultats au cours de l’année écoulée
Nota : Au 5 mars 2025. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Le dollar canadien
Au cours des douze derniers mois, le dollar canadien a figuré en queue de peloton des marchés développés (figure 7). Ce mauvais résultat est attribuable au ralentissement de la croissance, à la diminution des taux d’intérêt, à l’attitude conciliante de la banque centrale et au manque de productivité au Canada. Le problème le plus pressant tient toutefois bien sûr au fait que le Canada est devenu l’un des principaux partenaires commerciaux ciblés par les États-Unis sur le plan des droits de douane. Le président Trump a clairement fait connaître son point de vue sur le recours aux droits de douane en répression de l’immigration clandestine aux frontières et de la drogue, même s’il n’est pas du tout certain que le Canada est principalement à blâmer pour l’un ou l’autre de ces problèmes. Quoi qu’il en soit, les menaces de M. Trump liées aux droits de douane ainsi que ses déclarations selon lesquelles le Canada pourrait devenir le 51e État des États-Unis font office d’avertissement pour les investisseurs. Non seulement les prévisions de croissance économique doivent être revues dans le cadre d’une relation bilatérale plus controversée, mais il en va de même pour bon nombre des autres aspects à long terme qui étaient considérés comme acquis auparavant : une garantie implicite de la sécurité fournie par les États-Unis dans le cadre de l’OTAN, un partenariat stratégique protégeant le passage du Nord-Ouest et une collaboration sur le plan de la sécurité alimentaire et énergétique. Dans l’hypothèse où les États-Unis chercheraient à exproprier des avoirs étrangers comme les minéraux ukrainiens et le canal de Panama, les Canadiens doivent-ils s’inquiéter d’éventuelles tentatives de la part de M. Trump de s’emparer des précieuses ressources canadiennes en potasse, en métaux et en eau ?
La capacité du gouvernement du Canada à réagir de façon décisive à cette évolution rapide, compte tenu de la situation politique du pays, constitue une préoccupation connexe. Le Premier ministre désigné, Mark Carney, aura du pain sur la planche. Son gouvernement minoritaire doit en effet bientôt solliciter l’appui des autres partis ou organiser des élections anticipées. En d’autres termes, le huard pourrait être frappé davantage que prévu par des droits de douane, simplement du fait que le pays n’a pas la capacité de négocier de façon crédible avec la Maison-Blanche.
Il est difficile de déterminer le degré de dévaluation éventuel de la devise, car il n’est certainement pas vrai que des droits de douane de 10 % justifient une chute de 10 % de la devise. Un certain nombre d’éléments viennent compliquer la dynamique, notamment la durée d’imposition des droits de douane et le fait que le Canada imposera presque certainement des droits de douane réciproques sur les importations en provenance des États-Unis. Il est également probable qu’au moins une partie des droits de douane proposés n’exige pas de dépréciation du dollar canadien pour garantir le maintien de la compétitivité des entreprises canadiennes. La demande relativement inélastique du pétrole brut lourd canadien, par exemple, signifie qu’il appartiendra aux consommateurs américains d’assumer le coût des droits de douane attribuable à l’augmentation des prix de l’énergie.
Il est peu probable que ces relations économiques puissent être toutes modélisées avec précision pour estimer l’incidence des droits de douane sur le dollar canadien. Au lieu de cela, nous avons examiné plusieurs modèles et les réactions du marché des changes face à l’imposition de droits de douane dans le passé afin d’établir un éventail de scénarios possibles (figure 8). Ce ne sont là que quelques exemples : les divers scénarios susceptibles de se concrétiser au cours des prochains mois ne cessent d’évoluer et sont très incertains. L’une des conditions qui compliquent toute nouvelle dépréciation du dollar canadien est le fait que la monnaie américaine est surévaluée de 26 % (figure 9). Contrairement à ce qui s’est produit de 2016 à 2018, l’élection de M. Trump et l’imposition de droits de douane ne sont pas survenues entièrement à l’improviste. Nous avions déjà constaté une dépréciation du dollar canadien à la fin de l’année 2024 afin d’intégrer une partie des menaces liées à l’imposition des droits de douane.
Il est probable que les marchés des changes affichent des niveaux plus élevés de volatilité pendant les négociations commerciales, et les détenteurs de dollars américains pourraient profiter de cette volatilité pour acheter des devises sous-évaluées. Ces occasions ne se présentent pas très souvent. Elles se sont concrétisées pour la dernière fois pour les Canadiens en 2007, lorsque le huard était cher et que les Canadiens se sont précipités pour effectuer des achats immobiliers en Floride – une décision qui a été très avantageuse au cours des dix années qui ont suivi. Nous croyons que nous sommes à l’autre extrême maintenant : même si la liquidation du dollar américain prendra du temps, nous sommes convaincus qu’il y a de l’argent à gagner en achetant du dollar canadien tant qu’il est si bon marché. Notre période de prévision d’un an est beaucoup plus courte que l’horizon de placement de la plupart des investisseurs. Au cours des douze prochains mois toutefois, nous nous attendons à ce que le dollar canadien affiche une vigueur modérée à 1,36 CAD.
Figure 8 : Résultats potentiels pour le dollar canadien selon différents scénarios de droits de douane
Note: * En supposant que les droits de douane restent en vigueur jusqu’à la fin de 2025
Figure 9 : Le dollar américain demeure fortement surévalué
Nota : Au 21 février 2025. Sources : Bloomberg, RBC GMA
L’euro
À bien des égards, les perspectives de l’euro sont aux antipodes du point de vue plus large du dollar américain, car les deux monnaies représentent la part du lion des volumes mondiaux de change et le taux de change de l’euro reflète le rendement d’une monnaie par rapport à l’autre. Bien que cela revienne à transformer les placements sur le marché des changes en une comparaison de mérites relatifs, la tâche est un peu simplifiée lorsque les facteurs des deux monnaies pointent dans des directions opposées. Cela semble être le cas actuellement, car la croissance économique semble sur le point de reprendre en Europe, alors que la forte croissance aux États-Unis montre des signes de ralentissement (figure 10). Il est vrai que les États-Unis continueront probablement d’afficher une croissance économique globale plus forte que l’Europe et qu’ils offriront par ailleurs des taux d’intérêt plus élevés. Quoi qu’il en soit, le fait que les investisseurs soient tellement déprimés par tout ce qui touche l’Europe (économie, politique, marchés boursiers, devises) signifie qu’un rien suffira pour déclencher un rebond de la monnaie unique. Au moment de la rédaction du présent article, plusieurs éléments se trouvent réunis pour raviver le climat et faire passer l’euro au-dessus de 1,07 par rapport à ses creux du début de février (près de 1,02) (figure 11). Comme nous l’avons déjà mentionné, il s’agit notamment de la possibilité d’un accord de paix en Ukraine et de meilleures perspectives concernant les dépenses budgétaires indispensables pour soutenir l’économie et renforcer des capacités de défense. Bien que le mécanisme de freinage de l’endettement de l’Allemagne ait abouti à la limitation des dépenses fédérales à 0,35 % du PIB par année pour empêcher les dépenses irresponsables, il a aussi contrecarré la politique budgétaire anticyclique nécessaire pour amortir les effets de ralentissement sur l’économie. Au début du mois de mars, l’annonce que le gouvernement allemand tenterait d’assouplir cette politique a constitué une agréable surprise pour les marchés qui n’avaient plus guère d’attentes à cause de la position traditionnellement conservatrice du parlement allemand. Ce changement fait suite aux suggestions des États-Unis, selon lesquelles ils pourraient réduire le soutien de l’OTAN, voire délaisser celle-ci. Voilà une perspective plutôt effrayante pour les décideurs politiques européens, particulièrement après la prise de bec entre M. Trump et le président Zelensky dans le bureau ovale. Même si une partie de ces dépenses était consacrée à l’achat de marchandises américaines comme moyen d’éviter les droits de douane, ou à cause de la pénurie d’équipement de défense produit au niveau national, elle devrait néanmoins soutenir la croissance européenne.
En l’absence d’une imposition durable d’importants droits de douane à l’Europe par l’administration Trump (en particulier dans le secteur automobile), nous soupçonnons que l’euro continuera de progresser vers 1,09 $. Alors que l’économie continue de se redresser et que la BCE cesse de réduire les taux d’intérêt, les actifs européens devraient commencer à faire l’objet d’une demande accélérée de la part des investisseurs mondiaux. Nous nous attendons à ce que cet élan s’accélère vers la fin de notre période de prévisions de douze mois et à ce que l’euro se négocie sur des bases plus solides en 2026.
Figure 10 : La croissance économique de la zone euro se redresse
Nota : Au 5 mars 2025. Sources : Bloomberg, Citigroup, RBC GMA
Figure 11 : L’euro remonte depuis ses creux de février
Nota : Au 5 mars 2025. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Le yen japonais
Cette année, le yen est bien placé pour faire partie des devises les plus performantes des marchés développés. D’une part, l’économie japonaise est peut-être la moins touchée par les droits de douane, puisqu’elle est moins tributaire du commerce que ses pairs (figure 12) et que le déficit commercial des États-Unis avec le Japon ne représente qu’une fraction de ceux des principaux pays visés par M. Trump : la Chine, l’Europe et le Mexique (figure 13). Les facteurs typiquement japonais sont également favorables : le yen bénéficie d’importants revenus sur les actifs détenus à l’étranger et l’inflation alimentée par les salaires sert de guide à la Banque du Japon dans le cadre de ses augmentations de taux d’intérêt (figure 14). Non seulement la monnaie est l’une des moins chères au monde, mais le ministère japonais des Finances a également essayé de renflouer sa valeur au cours des derniers mois. Le Japon est donc l’un des rares partenaires commerciaux des États-Unis dont les préférences en matière de devise sont alignées sur celles de l’administration Trump. Une dernière raison de privilégier le yen est son statut de monnaie refuge et la tendance des investisseurs japonais à rapatrier les capitaux investis à l’étranger en période de turbulences des marchés. Compte tenu de la nature dispendieuse des actions américaines, il est opportun de détenir des placements en yen dans les portefeuilles en guise de protection contre les liquidations du marché. Nous nous attendons à ce que le yen s’apprécie, et atteigne un taux de 142 par rapport au dollar.
Figure 12 : Le Japon dépend moins du commerce que ses pairs
Nota : Au 30 septembre 2024. Sources : FMI, RBC GMA
Figure 13 : Le déficit commercial du Japon est faible par rapport à celui des autres partenaires commerciaux des États-Unis
Nota : Au 30 septembre 2024. Sources : BEA, RBC GMA
Figure 14 : La pression salariale soutient les hausses de taux de la banque centrale
Nota : Rémunération en espèces pour les établissements comptant plus de cinq employés. Au 31 décembre 2024. Sources : Ministère japonais de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, RBC GMA
La livre sterling
Nous prévoyons également que la livre sterling renchérira cette année, même si les investisseurs ne sont pas du tout d’accord sur le sort de la monnaie britannique. L’augmentation des taux des obligations britanniques à 30 ans qui ont atteint de nouveaux sommets en janvier (figure 15) a rappelé aux investisseurs le krach éclair des marchés obligataires de 2022 qui a conduit à l’éviction de la Première ministre, Liz Truss. Pour être juste, les importants déficits budgétaires et du compte courant qui persistent au Royaume-Uni ont incité les investisseurs à remettre en question la viabilité budgétaire de la région pendant des années (figure 16). Bien que les déficits budgétaires aient été scrutés à la loupe au cours des derniers trimestres, il ne nous semble pas que 2025 sera l’année où les investisseurs et les entreprises fuiront le Royaume-Uni du fait de ses excès. Par exemple, les entreprises britanniques ont réduit la proportion des dépenses en immobilisations qu’elles font à l’étranger, en privilégiant plutôt les investissements dans la production nationale.
Il est important de noter que la livre est également soutenue par les taux obligataires relativement plus élevés au Royaume-Uni (figure 17), qui servent d’aimant aux capitaux à une époque où la plupart des banques centrales ont viré de stratégie en diminuant les taux d’intérêt. Bien que la Banque d’Angleterre ait procédé à trois réductions de taux depuis la mi-2024, nous croyons qu’elle mettra plus de temps pour procéder à d’autres réductions en raison de l’inflation sous-jacente qui risque de ne pas atteindre sa cible de 2 %. Les personnes qui s’attendent à une hausse de la livre sterling soulignent également l’incidence plus modérée des tensions commerciales, puisque le Royaume-Uni effectue la majeure partie de ses échanges avec le continent européen et que le pays n’est pas une cible pour les droits de douane du président Trump. Le Royaume-Uni a en effet un déficit commercial avec les États-Unis. Nous prévoyons que la livre sterling atteindra 1,33 $ dans douze mois. Elle se raffermirait alors parallèlement à d’autres grandes devises des marchés développés, alors que le dollar américain commencera à fléchir ultérieurement cette année.
Figure 15 : Les taux des obligations d’État britanniques ont atteint de nouveaux sommets en janvier 2025
Nota : Au 5 mars 2025. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Figure 16 : Le Royaume-Uni enregistre un déficit budgétaire depuis des décennies
Nota : Au 31 décembre 2024. Sources : FMI, RBC GMA
Figure 17 : Des taux relativement élevés soutiennent la livre sterling
Nota : Au 5 mars 2025. Sources : Bloomberg, RBC GMA